Réapproprions-nous les biens communs

Nous sommes une coalition de travailleur·euses, d’agriculteur·ices, de syndicalistes, d’activistes écologistes et de citoyen·nes. Nous luttons ensemble pour une société juste socialement, respectueuse des limites de la planète, et où les biens communs (l’énergie, la terre, l’eau, le logement, la santé, l’éducation, les transports) sont gérés par et accessibles à toutes et tous.

Nous refusons de cautionner une démocratie de façade, qui ne nous permet pas de prendre part aux décisions qui affectent nos vies et qui compte sur l’endormissement de la population pour se perpétuer. Nous venons faire vivre une démocratie réelle, celle où les individus s’expriment, sont entendu·es et participent aux affaires publiques. 

Chers politiciens, chères politiciennes, nous venons au cœur même de vos mises en scènes, vous interpeller sur la situation que nous vivons, nous, les personnes que vous êtes supposé·es représenter. Nous voulons que vous preniez la mesure, du haut de vos tours dorées, de la colère qui nous habite. Celle de voir la pauvreté s’installer, avec de plus en plus de personnes parmi nous qui doivent choisir entre se nourrir, se chauffer ou se soigner, alors que la classe des privilégié·es s’enivre d’une richesse toujours plus scandaleuse. Celle de voir la planète, la nature, essentielle à la vie sur terre, se faire anéantir par un système productiviste sans merci.

Nous portons la colère populaire que vous ne voulez pas voir.

Au cœur de la crise énergétique, nous avons mené deux actions désobéissantes, en occupant les partis francophones du gouvernement fédéral pour exiger des mesures fortes et durables, puis en bloquant le siège d’Engie, qui verse des dividendes en milliards à ses actionnaires, alors qu’une grande partie de la population et des petits commerces ne peut plus payer ses factures.

Aujourd’hui, où en sommes-nous ? Toujours au même point.

La cause de cette impasse sociale et écologique, ce ne sont pas nos choix individuels, c’est notre système économique – le capitalisme néolibéral, guidé par la recherche de profit à court terme au détriment de l’humain et de la planète. Système soutenu depuis des dizaines d’années par nos politiques, à coup de toujours plus de libéralisation et de privatisation.

Nous savons pourtant que privatisations et logiques de marché produisent toujours la même chose. D’un côté, la spéculation et des prix trop élevés, avec la formation d’une classe riche ultra-polluante et l’exclusion de pans de plus en plus larges de la population de l’accès aux biens et services essentiels. De l’autre, une fuite en avant productiviste et la surexploitation des ressources, tant humaines que naturelles.

Sortir de cette impasse ne se fera pas par des primes d’aides aux ménages insuffisantes et temporaires, ou par des incitations financières à l’achat de voitures de société électriques. Sortir de cette impasse nécessite d’agir sur ses causes profondes pour créer de nouvelles façons de faire société. Et c’est possible.

S'attaquer au système capitalisme à la racine.

Partager la richesse 

Nous voulons que la richesse soit partagée. Seule une distribution juste et démocratiquement contrôlée des richesses permettra à chacun·e de vivre dans des conditions dignes, de mettre un frein aux aberrations écologiques et aux violences sociales causées par la recherche effrénée de profit. Cela passe par la taxation du capital des gros propriétaires immobiliers et fonciers, des multinationales et des actionnaires – cette richesse accumulée illégitimement à travers non pas le travail, mais la propriété privée. Cela passe aussi, de toute évidence, par le maintien et le renforcement de l’indexation des salaires et des allocations, l’abrogation de la loi de blocage des salaires et la suppression du statut de cohabitant·e.

Mieux comprendre

Partager la richesse

La richesse est là. Elle est produite par le travail de tous et toutes – et nous en produisons plus que jamais auparavant. Mais depuis un demi siècle la part de la richesse qui va aux personnes qui la produisent est en déclin, alors que celle qui va aux détenteurs du capital est en constante augmentation. Au sein de ces derniers, un groupe toujours plus réduit de la population mondiale s’accapare une part inacceptable des richesses de l’humanité. Pour maintenir la rentabilité de leur fortune collossale, ils exigent une part toujours plus grande des biens communs.

Il est temps de redistribuer les fortunes accumulées via l’impôt sur le capital et la fortune.
Il est temps de fermer le robinet en redirigant la richesse produite vers le plus grand nombre. Cela veut dire inverser la tendance dans sa distribution primaire : donc augmenter les salaires, et en particulier les plus bas. Nous devons abroger la loi de blocage des salaires, mais aussi défendre envers et contre tout l’index pour protéger les revenus des travailleur·euses contre l’inflation. Ces augmentations doivent se faire via des augmentations de salaire brut, pour également contribuer pleinement au revenu collectif qu’est la sécurité sociale et au financement des biens communs. La crise COVID a montré a quelle point c’est essentiel pour faire face aux crises qui viennent.

Travailleur·euses avec ou sans papiers, ubérisé·es, chomeur·euses, allocataires sociaux, pensionné·es : nous devons tous et toutes avoir les moyens de vivre hors de la précarité.

L’accroissement des inégalités n’est pas une fatalité, c’est un choix politique.

Sortir les communs des mains du privé

Nous voulons la socialisation des biens communs que sont l’énergie, la terre, le logement, la santé, l’eau, les transports, l’éducation… Bref, tout ce dont nous avons besoin pour mener une vie digne, et qui est accaparé par la logique du marché. Socialiser ces communs, c’est les sortir définitivement des mains des intérêts privés, dont l’objectif premier est le profit, et c’est aussi organiser leur gestion collective et démocratique par les personnes qui les produisent et en bénéficient, à diverses échelles. Cela permettra à la collectivité de garantir l’accès aux biens et services essentiels à tous et toutes, et de poser des choix sensés en termes écologiques, de manière démocratique.

L’accès à un logement adéquat, à une eau saine, à de l’énergie pour s’alimenter, se chauffer, prendre soin de soi et de son foyer, à une nourriture saine, à des soins de santé, à des transports publics, à l’éducation… est un droit et une condition élémentaire à la construction d’une société en paix, joyeuse et soutenable.

L’énergie

La libéralisation du secteur de l’énergie en 2007 devait faire baisser les prix et favoriser la transition énergétique. Quinze ans après, les promesses ont laissé place à la colère et au besoin de changement. Total, Engie et Luminus concentrent 80% du marché de l’énergie en Belgique et dégagent des profits en milliards. Pour sauver les meubles, l’État paie des primes pour que les ménages puissent payer leurs factures – ce qui revient à financer par nos impôts leurs profits gigantesques et injustifiés. Cela n’a aucun sens.

Socialiser le secteur de l’énergie, c’est d’abord rendre publique la propriété des infrastructures de production et d’acheminement de l’énergie, avec une mission de service public (pétition pour un fournisseur public d’énergie ici). Mais cela signifie aussi que les modes de production, d’organisation de la distribution et de consommation soient sous le contrôle des travailleur·euses, des usager·es et des habitant·es, en réponse à leurs besoins, sous des formes de propriété collective diverses, et décentralisées à chaque fois que c’est possible.

La socialisation doit avoir pour préalable la prise en charge par les entreprises privées des coûts associés à l’exploitation privée de l’énergie : le coût social et écologique, mais aussi les dettes publiques, des ménages et des petits commerces accumulées du fait de la libéralisation du secteur. Elle permettra de garantir l’accès à l’énergie à toutes et tous, et de viser un objectif de réduction de la consommation globale d’énergie, notamment contre le gaspillage industriel et celui des plus riches.


La terre

Les terres agricoles sont devenues quasiment inaccessibles aux agriculteurs et agricultrices, devenues trop chères par rapport aux revenus générés par leur production. Autrement dit, une terre acquise au prix actuel prend plus d’une carrière d’agriculteur·rice pour être remboursée avec la rentabilité des produits alimentaires produits sur cette terre.

Depuis trop longtemps, tout un panel d’acteurs spéculent sur les terres agricoles et font monter les prix, rendant toujours plus difficile l’accès à la terre pour les paysan·nes, particulièrement pour les jeunes dont le travail permettra pourtant de nous nourrir demain. D’un côté, on utilise des terres sans y produire un radis : chevaux de loisir, monocultures de sapins de Noël, production énergétique, etc. Et de l’autre, on laisse la porte ouverte à ce que n’importe qui achète des terres : supermarchés, transformateurs, sociétés de gestions chargées de maximiser les revenus des propriétaires terriens, etc. Tout ce petit monde contribue très largement à la flambée des prix. Dans le cadre d’un marché non régulé, c’est simplement le plus offrant qui l’emporte. Ça ne peut plus durer !

Socialiser les terres agricoles, c’est créer une banque de terres publiques (ou communes), gérée collectivement par les agriculteur·ices et les citoyen·nes, qui a la responsabilité de gérer, protéger et augmenter le patrimoine des terres arables publiques pour en redistribuer les droits d’usage à des paysan·nes.

La terre est la condition première de notre alimentation, c’est un bien précieux, une question politique primordiale et un droit. Protégeons-la !

 Le logement

Pour la plupart d’entre nous, le logement est le premier poste de dépense, qu’il soit un loyer payé à un propriétaire-bailleur, ou un remboursement de crédit avec intérêts payés à une banque. Avec la flambée des prix, à l’acquisition comme à la location, ce poste ne cesse d’augmenter.

Dans le cas des locataires, qui représentent 60% des habitant·es de la Région bruxelloise, et 30% des habitant·es du reste de la Belgique, le loyer est un transfert de richesse direct, non taxé, vers une classe aisée de multipropriétaires pour qui ce revenu est un “bonus” de plus. La location sur le marché privé nous défait du pouvoir sur nos espaces de vie et sur la sécurité dont nous avons besoin pour vivre. Dans le cas des propriétaires-occupants, c’est une somme considérable qui part en intérêts à des banques sur lesquels nous n’avons aucun contrôle, et une pression sur le long terme à gagner suffisamment d’argent sur un marché du travail incertain.

Socialiser le logement, c’est reprendre le contrôle sur notre habitat sans passer par la propriété privée, vecteur d’augmentation des prix et d’inégalités, -en misant sur une propriété collective des logements, en dehors du marché. Il existe plusieurs formes de propriétés collectives, les logements peuvent par exemple appartenir à des institutions publiques ou à des coopératives ayant pour objectif de loger les personnes dont les revenus ne permettent pas de se loger sur le marché privé.

Actuellement, le logement social est une des formes les plus concrètes de socialisation. Les loyers y sont calculés selon les moyens et les besoins des personnes, et l’espace adapté à la composition du ménage. C’est un principe de base qui doit s’étendre beaucoup plus largement, notament à travers la construction massive de logements sociaux et la conversion de logements existants en logements sociaux (56 000 ménages sont actuellement sur liste d’attente à Bruxelles) – en s’inspirant de l’exemple de Vienne où plus de 60% des logements sont publics. D’autres formes de collectivisation doivent également être promues, telle que la dissociation de la propriété du bâti et du sol, qui devrait être publique à 100% pour limiter la spéculation.Socialiser le logement signifie, enfin, que l’argent des loyers soit mis en commun, et leur usage discuté et décidé collectivement, pour l’entretien des logements, pour leur isolation, leur amélioration, et pour l’acquisition ou la construction d’autres logements à socialiser. Dans l’interim, il est impératif de mettre un frein à la hausse des loyers, injustifiée et tirée par la spéculation immobilière, à travers l’imposition de grilles contraignantes et la réduction du loyer maximum.

La santé

La pandémie a révélé les carences profondes de notre système de santé. Nous n’oublions pas et n’oublierons jamais le manque de soignant.e.s, de masques et de matériel de soins de base qui a eu des conséquences mortelles pour beaucoup trop d’entre-nous. Pourtant, sous la pression des cris de colère du personnel soignant et des applaudissements de soutien, nombre de représentant·es politiques ont promis que les leçons seraient tirées et que les conditions de travail dans le secteur seraient revalorisées. Un accès à des soins de qualité pour toutes et tous était aussi sur toutes les lèvres. Force est de constater que l’ensemble de ces promesses ont été vite oubliées.

Nombre de soignant·es continuent de fuir le secteur ne supportant plus la perte de sens totale et l’inhumanisation généralisée dans les soins. Un nombre alarmant de patient·es n’ont plus les moyens de se soigner correctement ou d’acheter les médicaments prescrits. La marche forcée vers la marchandisation continue inexorablement avec son lot d’exclus et de mal-soigné·es. La dégradation des déterminants de la santé (logement, alimentation, conditions de vie et de travail) vient encore renforcer ces inégalités en matière de santé : maladies chroniques et mortalité précoce touchent davantage les classes populaires.

Socialiser le secteur de la santé, c’est assurer une santé publique de qualité, gratuite et accessible à toutes et tous. Cela nécessite d’en finir avec la privatisation et la compétition entre établissements de soins, et d’adopter une logique de coopération, au sein de laquelle les professionnels et assuré·es sociaux pilotent collectivement l’organisation du travail et des moyens nécessaires, en fonction des besoins. C’est permettre de réintroduire l’importance de l’humanité dans les soins, là où la rentabilité empêche les travailleur·euses de la santé de passer le temps nécessaire au chevet des patient·es.

D’autres formes de socialisation seront nécessaires, comme la socialisation des entreprises pharmaceutiques pour mettre fin aux détournements de cotisations que constituent leurs profits financiers outranciers, et pour permettre à la collectivité de décider de l’orientation de la recherche scientifique.

Seul un refinancement massif de notre système de santé et son contrôle par les travailleur.euse.s et usager.e.s permettra d’améliorer significativement les conditions de travail et l’accès aux soins. C’est possible, nécessaire et urgent.

L’eau

L’eau est la ressource la plus précieuse à la vie. Pourtant, la marchandisation progresse, avec la privatisation des services de distribution d’eau, ou par la mise en bourse de l’or bleu depuis fin 2020, ou encore par l’exploitation de l’eau en bouteille. La Belgique a concédé la gestion de 35 sources à de grands groupes privés, qui en tirent des bénéfices scandaleux. Au niveau mondial en 2019, Nestlé et Danone ont dégagé 5,8 et 4,5 milliards d’euros pour leurs seules divisions « eaux ».

La gestion privée de l’eau a les mêmes conséquences partout : hausse des factures, manque d’investissement dans les infrastructures, réductions d’effectifs, manque de transparence financière…

Socialiser l’eau, c’est maintenir la gestion publique de l’eau et empêcher sa privatisation. C’est assurer un approvisionnement public via les collectivités locales, directement et de façon non lucrative, avec une gestion collective par les usager·es et les travailleur·euses du secteur. Cela permettrait par exemple de réinstaurer la gratuité des premiers mètres cubes d’eau, comme c’était le cas en Flandre entre 1997 et 2016, reconnaissant ainsi le droit à l’eau pour les besoins essentiels (boire, hygiène) – alors qu’il a été montré que cette mesure ne semble par augmenter la consommation, mais bien la diminuer.

Les transports

La libéralisation du transport ferroviaire national de passagers a été votée par le Parlement fédéral en décembre 2018 et pourrait être pleinement concrétisée dès 2032. La SNCB n’opérera plus en monopole et pourra être concurrencée par d’autres entreprises. Pourtant, la libéralisation ne permet ni de réduire les prix ni d’augmenter l’utilisation du rail par les passagers. Ce qu’elle produit, c’est la dégradation des conditions de travail pour les cheminots.

Les études le montrent : seule l’augmentation de l’investissement public dans le rail a de réels effets positifs. Or, le budget ferroviaire a subi de multiples coupes ces dernières années, dont celle spectaculaire de 15 à 20% à l’époque de «la suédoise». Sur le long terme, même si des investissements sont faits dans les infrastructures, il y a une tendance à la baisse des dépenses de fonctionnement. Et pendant ce temps, entre deux et quatre milliards d’euros s’envolent chaque année en déductions fiscales pour les voitures de société.

Socialiser les transports, c’est maintenir une propriété publique des infrastructures et des trains, trams, métros, bus et collectiviser leur gestion par les usager·es et les travailleur·euses. C’est un modèle que la Belgique doit promouvoir au niveau européen, en rompant avec sa logique de libéralisation. La gratuité des transports en commun (comme au Luxembourg, à Dunkerque ou bientôt Montpellier) pourrait par exemple être mise en place dans une société où les transports sont gérés par et pour le bien commun.

L’éducation

Parler d’éducation, c’est parler de réalités diverses et variées. Entre la crèche et l’université, la privatisation fait son chemin : les crèches privées pour palier le manque de crèches publiques, les entreprises de cours particuliers qui profitent des dysfonctionnements scolaires et du manque d’accompagnement adéquat de tou·te·s les élèves, la délégation de la restructuration complète de l’enseignement secondaire à McKinsey (côté Fédération Wallonie-Bruxelles), les partenariats entre les institutions de l’enseignement supérieur et les entreprises privées,… Cette liste non-exhaustive est déjà longue.

L’enseignement public est très hierarchisé et laisse peu de place aux acteurs et actrices du secteur pour décider de son avenir. Dans une école, par exemple, un élève se soumet à l’autorité de son enseignant·e, qui est dépendant·e des décisions du niveau supérieur et doit rendre des comptes à sa direction, qui elle-même s’adresse à son pouvoir organisateur, lui-même dépendant des décisions de la Fédération-Wallonie Bruxelles. Pourtant, l’enseignement public se targue de former des citoyens et citoyennes, capables donc de prendre des décisions et d’agir ensemble pour le bien commun, sans se soumettre les yeux fermés à une autorité extérieure.

Socialiser le secteur de l’éducation, c’est donner du pouvoir décisionnel aux acteurs du secteur (élèves, encadrant·es, employé·es, parents,…) et mettre les moyens financiers nécessaires pour éviter l’intervention du secteur privé et combattre les inégalités scolaires. Cette gestion collective permettra par exemple de faire le choix d’une direction pédagogique centrée sur la formation des futur·es citoyen·nes à la gestion collective de nos biens communs.

L’injustice qui nous a sauté au visage durant la crise énergétique est la preuve même de l’hypocrisie qui règne.

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